L’art de la fluidité par Alexandra Boussagol

Derrière chaque réalisation architecturale forte se cache une vision, un parti pris assumé, une pensée du vide autant que du plein. C’est exactement ce que défend Alexandra Boussagol, architecte d’intérieur et fondatrice de son agence il y a six ans. Dans cet article, elle nous ouvre les portes de son propre appartement, un espace pensé comme un manifeste vivant de sa conception de l’habitat : un lieu de caractère, enveloppant, traversant, où chaque matière dialogue avec la lumière.

Crédit Photo : Sophia Mulhem

Un coup de cœur architectural

Lorsque Alexandra découvre cet appartement, c’est la verrière historique qui provoque le déclic. Situé sous les toits, l’espace bénéficie d’une hauteur cathédrale avec 5 mètres sous plafond. Une première transformation s’impose : rehausser la mezzanine de 25 cm. Ce geste millimétrique change tout. Il permet à la verrière de s’exprimer, d’habiter la pièce de tout son volume et d’offrir une respiration essentielle. La mézanine auparavant pesait sur l’espace, aujourd’hui elle l’accompagne.

L’objectif ? Créer de la transversalité, libérer les perspectives du salon à la cuisine, fluidifier les transitions. Les ouvertures sont agrandies pour permettre à la lumière de circuler, de glisser sur les matières et de dessiner les volumes.

Une esthétique masculine et chaleureuse

L’identité stylistique d’Alexandra Boussagol est reconnaissable : des lignes fortes, un travail assumé de la matière, mais toujours contrebalancé par des choix organiques et feutrés.

Les tables basses, en marbre Calacatta Viola, sont pensées comme des monolithes. Massives, sculpturales, elles sont adoucies par des formes arrondies, des textiles à la texture veloutée et une palette de couleurs terracotta et ocre. Les suspensions trinitaires flottent dans le vide comme des nuages suspendus, dessinant dans le volume une douce poésie lumineuse.

Le cœur du séjour repose sur ce dialogue permanent entre force et douceur : l’escalier en acier noir, structure brute et verticale, est réchauffé par des marches en noyer, une banquette intégrée et des coussins laineux. À chaque fois, un équilibre.

La mezzanine : bibliothèque habitée

Conçue comme un cocon perché, la mezzanine fait office de pièce de lecture et de contemplation. Le parquet plus sombre qu’au rez-de-chaussée crée une ambiance plus intime. La bibliothèque sur mesure, en chêne teinté brun, est inspirée de Charlotte Perriand : panneaux coulissants en cuir tressé, ergonomie travaillée, dissimulation d’une télévision, tout participe à faire de cet espace un lieu enveloppant.

Une cuisine fantomatique et raffinée

Dans la cuisine, Alexandra choisit le blanc immaculé pour mieux le faire disparaître. Le mobilier s’efface pour laisser la vedette à la salle à manger : une table ronde conviviale et des chaises en noyer, à l’allure de feuilles de ginkgo. La cuisine est là, fonctionnelle mais discrète, pour mieux laisser place aux perspectives sur les collines boisées de Médon et de Sèvres.

Ce choix assumé de ne pas multiplier les fonctions visibles donne à l’espace une impression de pureté. On cuisine, on reçoit, on vit dans un lieu qui laisse respirer le regard.

Une chambre comme un costume sur mesure

L’agrandissement de l’appartement permet à Alexandra de créer une suite parentale isolée, située sous les toits. Pensée comme un espace à part, elle s’enveloppe de couleurs feutrées et de matières nobles. L’eucalyptus fumé, le tissu tapissé, la laine bouclée composent un univers à la fois masculin, chaleureux et apaisant.

Derrière le lit, une tête sur mesure intègre niches, prises et luminaires. Les suspensions en bulles lumineuses ajoutent une note poétique et intimiste. Tout est dessiné avec précision, dans une logique de confort absolu.

Le dressing et sa transparence sophistiquée

Réalisé en noyer, le dressing joue sur la juxtaposition de matières : montants léonés pour la lumière, panneaux en tissu d’abaca tendu pour la transparence. Un jeu de filtres et de perspectives qui permet à la lumière de circuler librement. Une lame de verre relie le dressing à la chambre, favorisant la fluidité et le dialogue visuel.

Une salle de bain sculpturale

Pensée comme un écrin minéral, la salle de bain parentale met en scène le marbre Fiordo Bosco, les miroirs arrondis, les robinetteries dorées. La baignoire îlo, immaculée, s’ouvre sur les toits de Paris. Le plan vasque suspendu assure une légèreté visuelle, renforcée par la courbe de son tracé.

Pas de spots au plafond, mais une bande LED qui court au fond de la douche comme une cascade lumineuse. Chaque choix matériel est à la fois esthétique et technique : le marbre nécessite un entretien particulier, mais rien n’égale sa profondeur et son toucher.

Un bureau en hommage au geste

L’ancienne chambre est aujourd’hui le bureau de l’architecte. La menuiserie sur mesure accueille échantillons et maquettes. Face au mur noir, une sculpture en béton Vérartau dialogue avec une banquette multifonction. L’espace respire l’inspiration, l’accueil, la matière.

L’entrée comme seuil sensoriel

Le parquet en bois de bout, présenté dans sa coupe horizontale, affirme le seuil comme un espace à part. Il absorbe les chocs, donne à voir les veinages et annonce la singularité de l’appartement. La vasque installée devant la fenêtre de la salle de bain historique permet une double perspective : on se voit dans le miroir, tout en conservant la vue sur les jardins.

Une philosophie : penser par le vide

Si l’on devait retenir un principe de conception chez Alexandra Boussagol, ce serait celui-ci : penser les espaces par le vide, plus que par le plein. Ne pas surcharger. Ne pas encombrer. Laisser la lumière et les regards circuler.

Dans cet appartement, tout est question de respiration, de transitions douces, d’harmonie silencieuse. Une architecture de la fluidité, où le souffle lèger de l’air devient un matériau à part entière.

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